"Ecartes l'amertume d'avoir trompé ta soif aux fontaines d'un rêve, car nul ne peut dire ce qui marche sur la voie, de quel côté s'en vont ni de quelle rive viennent. "
HEPTUKHOS
Une série d'images rassemblées dans un portofolio et accompagnées d'un récit de Michel Dubret : "Le Matin des sept Dormants"
"A maints égards, c'est une tâche des plus périlleuses que de devoir présenter un texte dont par ailleurs l'on ne sait quasiment rien. Ou si peu. Sauf exception, on se condamne sans recours à faire oeuvre inutile quand ce n'est pas, plus gravement, à trahir ce qu'on était censé exhausser. Aussi vaut-il mieux se borner, en toute humilité, à relater ici les circonstances singulières qui gouvernèrent la découverte de ce "Matin des Sept Dormants". Ceci sans préjudice, bien sûr, des questions en abyme dont il est obscurément la source...
... Quant au livre perdu dont il va être question, certains indices, que je n'ai ni la place ni le désir de développer en cette introduction, nous laissent penser qu'il s'agit bien de celui dont parlent les premières pages si énigmatiques du Livre des Figures hiéroglyphiques: "C'était un livre doré fort vieux, et beaucoup large. Il n'était point en papier ou parchemin comme sont les autres, mais seulement il était fait de déliées écorces de tendres arbrisseaux. Sa couverture était de cuivre bien délié, toute gravée de lettres ou figures étranges..."
"Quand ils parvinrent aux fontaines et voulurent boire, ils virent que l'eau était vivante et qu'elle était habitée. L'ancienne voix, la voix heureuse, celle qui s'était perdue aux temps obscurs, y frémissait, plus jeune qu'avant les ombres. Et sans mot dire, chacun remuant les vieilles espérances, les songes délaissés, ils écoutèrent, et les lourds souvenirs leur montèrent aux lèvres:
" Cent rois sont un seul nom dans la chanson des sources.
Un nom tient toute chose paisible sous le vent.
Et toute chose donne une terre à qui marche son rêve,
et fait briller un feu pour qui n'a pas d'étoile."
Ils surent, alors, que la course sans trêve venait de prendre fin et qu'approchaient les jours de nulle solitude puisque d'aucun oubli."
Une série d'images accompagnées d'un récit de Michel Dubret "le Parleur de la rive"
"Ce fut d'abord le plein vent, et la terre elle-même semblait haussée vers lui, de toute part offerte, dans l'abandon frileux où traînent les jetées que laisse le voyage. Arrivé des lointains, ce fut le poids du vent, insatiable et tenace, et puis l'unique chant, plus haut qu'une tempête, où roulaient les lumières. Mais, en place d'aube neuve, ce fut la peur qui vint; et les gestes glacés chargeaient de pierres le souffle et la bonne foulée. Plus proche désormais, rôdait la désolée, qui parlait sans dire et marchait sans aller. Au large, une à une pâlirent les écailles du vent, et la terre, lourdement, fut une porte close où murmurait la nuit. Alors tout s'abîma; le chemin naissait à même le long pas que tirait l'horizon, et chaque pas, longtemps, disait un mot pour l'ombre qui allait au devant:..."
...Pour lors il allait, soucieux des traces anciennes où guettait sa mémoire, tandis que sur le sol, ses mains appelaient les visages, ceux des pistes d'enfance, ceux des sentiers dormants parmi les ombres. Le coeur perdu en des langues lointaines, il écoutait ses doigts interroger les sables, remuant les silences, déchiffrant l'immobile dans l'empreinte des temps. Mais la terre desséchée semblait morte aux souvenirs, nul voyage ne chantait dans les herbes glacées.
Aux minuits immobiles, transis d'ennui et de morne patience, s'embusque une frontière grise...
Une série d'images accompagnées d'un récit de Michel Dubret:"Les Meneurs de grand Matin"
"... La nuit venue, une garde fut tenue auprès de chaque feu, et d'autres feux, là-bas, répondirent, constellant vents et brumes, jusqu'à la "male terre" où personne n'allait. Ainsi, depuis toujours, commençait "la passée", avant que ne soit dite, à l'écart des foyers, la fable qui se perd, à peine reconnue, celle aux mots disparus.
Quand eût frémi le ciel au pas de l'aube, et qu'une à une les flammes se fanèrent, chacun s'en retourna, parlant pour le chemin et pour qu'ait bonne étoile ce qui cherche dans l'ombre. Mais, fixant les cendres mortes, quelques uns demeuraient qui s'en iraient bientôt par "la passée" déserte, quelques uns se taisaient, remuant confidences, afin que daigne attente et que dorme un adieu au coeur simple des pierres. Car ils étaient "les devenus", que nul, désormais, ne verrait plus franchir source ni saison sous la foulée certaine, ceux de "la forêt haute" delà la male terre d'où personne ne vient."
"J'écris d'un lieu sévère, menant la plume lourde, cherchant l'escale longuement. Pourtant, rien ne s'arrête ici, au fil des pages qui se tournent, ni rien ne vous attend; quelque chose simplement s'absente qui fut de dure besogne, et sombre, quelque chose s'oublie qui vous gardait encore quand tout était silence. J'écris comme on s'attarde, malgré l'urgence, avant de s'éloigner, afin que ne se brise, au seuil, la lumière sauvée. "
Une série d'images accompagnées d'un récit de Michel Dubret:"La Voie des Seuils"
"... Nul ne sait, aujourd'hui, où mûrissaient leurs champs, ni près de quelles pierres ils apostaient leurs soirs pour rencontrer une âme et lui faire salut en promesse d'escale. Et personne n'a pu, au "livre des chansons", reconnaître leurs voeux et le secret des ombres où leurs jours disparurent. Ceux qui eurent mission d'y traquer leur histoire, n'y trouvèrent vocable ni mot d'aucune sorte, seules quelques images qu'ils ne comprirent pas. Et tous durent humilier leur science et soumettre leur soif: le livre entier, chaque page précieuse, était fait de silence. Aussi fut-il nommé "le livre réticent", et rien encore, malgré la quête, n'a franchi son mystère.
"...Rien ne parut changé aux marelles secrètes où jouent les vies des hommes. Aujourd'hui était enfant d'hier, et des sources nouvelles étanchaient les soleils, portant des fraîcheurs d'herbe dans les saveurs de l'aube. Les choses allaient leur règle, et les ruines, là-bas, scellées de mousse et de poussière, n'étaient qu'une rumeur, rappelée d'autrefois. Leurs nuits jonchaient, aveugles, et ne racontaient rien aux chevets des dormeurs qui parlent l'ancienne langue, celle des mystères du monde et de l'âme du temps. Pourtant, quelque chose manquait dans la geste des jours... Au coeur de toute chose, une porte fermée interdisait la route aux voyageurs naïfs qui écoutent le ciel et cherchent des visages dans le dessin des pluies. Alors, l'existence et le sort n'eurent plus force ni sens, n'ayant plus d'horizon... L'on eut crainte des sommeils et de la nuit levée aux forêts sentinelles. Et l'on prit en méfiance le silence des arbres et des champs en lumière s'offrant au grand Midi. Ainsi changèrent les rêves, tandis que demeuraient les pas dans la trace des pas."
"... Trop de saisons et trop d'oubli, après médisances et chimères, conspiraient à barrer "la voie des seuils". Trop d'orgueil et de mensonges. Mais, ouvrant leurs yeux, ceux qui s'étaient levés, sentirent en eux, indistincts, remuer les murmures, et des mots inconnus montaient jusqu'à leur lèvres. Et ces mots portaient une lumière plus neuve que jeune aurore, et plus vieille, pourtant, que ce qui dort encore aux racines du monde."