L'image informatique, par les ruptures qu'elle produit, ne cesse de nous
interroger, de nous poser le problème de sa réalité,
de sa création et de son mode d'existence.
Si la machine, lanterne magique, boîte à songes, évoque
aussi par sa similitude la complexité du cerveau, l'image qu'elle
génère pourrait s'apparenter à celles de nos rêves:
L'accumulation d'informations disparates, comparable aux divers stimuli
reçus par notre psychisme, et le travail de transformation, de combinaison,
de déplacement et de compression que subit ce matériel à
l'état latent, sa mise en équation en de nouvelles unités,
selon un mode particulier dont on ne maîtrise pas vraiment les termes,
pourrait suggérer que la machine agit, dans la venue de l'image,
comme une sorte d'inconscient. Ce passage à l'acte de la machine,
moment étonnant et suspect, met en oeuvre la multitude de ses possibilités
pour élaborer, en fonction de données établies, la
meilleure image possible où se contredisent l'énigme manifeste
et la logique clandestine. Produit éphémère d'un mécanisme
compliqué, l'image apparait alors, dans son résultat impalpable
et lumineux, comme l'écume du calcul.
Devant sa machine qui ronronne, l'artiste, privé de son savoir faire
de terrien, dormeur au bord du monde, libéré comme par le
rêve de l'emprise de la nature, attends, projeté en deçà
de lui même par ce mécanisme rigoureux et inaccessible. La
machine propose un cheminement nécessaire à sa logique, différant
l'acte créateur. Elle interpose son labyrinthe d'abstractions et
les chicanes de ses calculs entre l'image et son auteur, obligeant celui-ci
à se procurer le fil d'Ariane d'un montage mental précis
et préalable de l'image. Image compromis où le je et le jeu
cohabitent et qui rendra l'artiste spectateur de sa propre création
comme d'un rêve étrange.
Image nuage, elle joue de sa matière illusoire et lumineuse, renonce
à la forme par la fugitive et fluide soumission de ses pixels aux
caprices de la pensée comme à la fantaisie du vent. Image
phénix, elle se renouvelle et se perpétue, loin du temps,
de l'espace. Sans lieu, et sans dimensions réelles, elle défie
l'espace, nous fait perdre pied au bord de notre terre et nous engage vers
des mondes mystérieux en quelque sorte intermédiaires, où
l'artiste devient une caricature de dieu. Ephémère, elle
défie le temps, échappant à ses destructions, et interpelle
l'oeuvre elle- même, condensant les mille et une altérations
possibles de son éternité en une accélération
du temps.
D. de Bardonnèche- Berglund, octobre 92
Résumé d'un texte paru dans: Esthétique des Arts médiatiques
(collectif sous la direction de Louise Poissant- Presse de l'université
du Québec, Montréal 95)